Tantôt il dit vrai, tantôt n'importe quoi. C'était après la dernière grande victoire des nationalistes anti-belges, la réforme de l'Etat de 2001.
Hervé Hasquin
«La nation belge n'existe pas»
Par LEXPRESS.fr, publié le 19/07/2001
Hervé Hasquin, ministre-président de la Communauté Wallonie-Bruxelles, réagit au renforcement de l'autonomie des régions
Hervé Hasquin, 58 ans, est ministre-président de la Communauté Wallonie-Bruxelles, qui gère les affaires culturelles et sociales des 4 millions de francophones de Belgique. Il réagit au renforcement de l'autonomie des régions
Les accords de la Saint-Polycarpe, votés par le Parlement belge le 28 juin, ont accru, à la demande de la Flandre, l'autonomie des régions. Les francophones, en échange d'un soutien financier supplémentaire, ont accepté le marché. C'est la cinquième réforme de l'Etat en trente ans. Est-ce la dernière?
Non, il y en aura d'autres! Tout simplement parce qu'il n'y a jamais eu de nation belge à proprement parler. La Belgique est un Etat artificiel, créé en 1830. Jusqu'à la Révolution française, «l'espace Belgique» restait composé des Pays-Bas autrichiens et de différentes principautés indépendantes, comme Liège ou Stavelot. C'est la victoire des armées de la Révolution, en 1794, qui réalise l'unification de ces territoires épars, rattachés à la France sous le nom de «départements réunis». On ne comprend pas la Belgique contemporaine si l'on oublie l'influence de la France, deux décennies durant, jusqu'à la défaite de l'Empire.
Mais c'est bien un sentiment national qui s'exprime lors de l'insurrection de 1830 contre le pouvoir néerlandais, laquelle débouche sur l'indépendance belge?
Un nationalisme antinéerlandais, oui. Un sentiment national? A Bruxelles, certes. Mais pas à Liège, toujours francophile.
A quand remontent les premières tensions entre francophones et Flamands?
A l'origine de notre Etat. Au moment même où les Pays-Bas reconnaissent définitivement la Belgique, en 1839, un mouvement flamand se dessine pour revitaliser une langue alors méprisée par les élites francophones. Son action n'a jamais cessé.
Pourquoi la Flandre, aujourd'hui si riche, si sûre d'elle, exige- t-elle toujours plus de pouvoirs pour les régions?
Justement à cause de sa prospérité. Depuis la fixation de la frontière linguistique qui partage le royaume, la Flandre estime avoir la taille suffisante pour devenir un Etat autonome. Elle n'accepte plus de participer aux mécanismes de solidarité en faveur d'une Wallonie francophone dont le revenu est depuis trente-cinq ans inférieur à la moyenne nationale.
La Belgique est-elle encore un Etat fédéral?
La Belgique va devenir un Etat confédéral. Les matières gérées par le gouvernement central vont être de plus en plus réduites et les liens entre les entités de plus en plus lâches. C'est ça le problème.
Pourquoi est-ce un problème?
Entendons-nous bien. Personnellement, ma formation d'historien m'amène à relativiser la notion d'Etat. La Belgique n'a pas toujours existé. Rien ne dit qu'elle existera toujours. Regardez la carte de l'Europe politique de 2001: elle est plus proche de celle de 1914 que de celle de 1988. L'Europe change. Il y a vingt ans, nous, les Belges, nous avions un peu honte de cette querelle entre communautés. Aujourd'hui, j'observe que les régions ont plus de poids en Europe. Aucun Etat n'échappe à ce mouvement. En Italie, la Belgique est perçue comme un laboratoire institutionnel. Même la France a mis le doigt dans l'engrenage avec la Corse: vous verrez, un jour, émerger d'autres régions dotées de compétences législatives.
Les Flamands ont promis de ratifier la convention du Conseil de l'Europe sur la protection des minorités qui favoriserait les francophones de Flandre. Y croyez-vous?
Je ne veux pas préjuger, mais, pour les Flamands, il n'y a pas de minorité francophone en Flandre. C'est irrationnel, c'est indiscutablement le résultat d'une psychose, mais c'est ainsi.
Le «détricotage» des compétences de l'Etat belge ne conduit-il pas inéluctablement à l'éclatement du pays?
La stabilité de la Belgique passe par la prospérité de la Wallonie. Une Wallonie qui échapperait à son déclin pourrait mieux résister à la pression flamande vers ce divorce à l'amiable. Elle bénéficie d'atouts pour parvenir à ce redressement. Mais, dans l'intervalle, je ne crois pas qu'on atteigne un point d'équilibre avant longtemps. Chaque fois que le mouvement flamand a demandé quelque chose, il a fini par l'obtenir.
Cette dynamique sécessionniste ne relance-t-elle pas l'option du rattachement des francophones à la France?
Ce parti reste minoritaire. Même si, depuis cinq ans, la question n'est plus taboue. Quand on me demande mon avis en public, je réponds par deux questions: à supposer qu'une majorité de Wallons veuillent devenir français, encore faudrait-il que la France soit prête à les accueillir. Et les Wallons rattachés ne risqueraient-ils pas d'être méprisés par Paris? Globalement, l'opinion francophone reste unitaire et royaliste. L'homme politique doit donc être prudent dans son discours.