" Good Morning Belgium "
http://www.rtbf.be/info/opinions/detail_good-morning-belgium?id=7875089OPINIONS | jeudi 15 novembre 2012 à 13h05
Vincent Laborderie
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Doit-on se résigner à voir la Belgique disparaître? Non, répond Vincent Laborderie, chercheur à l'UCL, cette disparition non seulement n'est pas inéluctable, mais elle est même impossible à court et moyen terme. Et il se base pour cela sur le travail d'un certain nombre d'intellectuels francophones et flamands.
Fin de la Belgique ou confédéralisme, il semble qu’il ne soit plus possible de penser l’avenir du pays qu’en termes négatifs. La seule question pour certains est de savoir ce qui restera de la Belgique après les élections de 2014 et la victoire annoncée de la N-VA.
La voix des urnes
Si la prophétie de la fin de la Belgique a plus que jamais le vent en poupe, elle ne résiste cependant pas à une analyse approfondie. Commençons par l’annonce d’une victoire de la N-VA en 2014 qui deviendrait un parti à ce point dominant que les autres acteurs – qu’ils soient Francophones ou Flamands – n’auraient plus qu’à se plier à sa volonté. Les dernières élections communales et provinciales ont contredit les prévisions sondagières d’une N-VA à des niveaux stratosphériques (35 à 40%) lui permettant d’écraser toute concurrence. Si l’on s’en tient aux élections provinciales – qui, contrairement aux communales, ne sont que peu influencées par les têtes de listes et le manque d’implantation locale de la N-VA – on constate que, loin de progresser, les nationalistes flamands stagnent depuis 2010, aux alentours de 28% des voix. Les partis séparatistes pris dans leur ensemble ont même régressé du fait de la chute du Vlaams Belang (9% des voix) et de la quasi-disparition de la Liste De Decker. Résultat : le CD&V que l’on disait moribond est celui qui se remet le mieux du faux-pas de 2010. Il remonte à 21,5% soit presque son niveau des élections régionales de 2009 alors considérées comme une victoire pour les sociaux-chrétiens. De manière générale, les partis soutenant la sixième réforme de l’Etat (CD&V, OpenVLD, SPA et Groen) représentent près de 60% de l’électorat en Flandre (contre 55% en 2012). L’idée de l’inéluctabilité d’une victoire de la N-VA n’est donc absolument pas confirmée par les résultats des dernières élections. Même si elle était le premier parti flamand, une N-VA à 28% n’est pas en mesure d’imposer le confédéralisme et encore moins l’indépendance de la Flandre.
Néanmoins, si la victoire de la N-VA n’est pas inéluctable, sa défaite ne l’est pas davantage : la “méga-élection” de 2014 est encore loin et nul ne peut prédire l’issue d’un scrutin 18 mois à l’avance. Mais même dans l’hypothèse d’une N-VA hyper-dominante, la fin de la Belgique n’apparait pas comme une éventualité crédible. En effet, l’étude des cas récents de séparation pacifiques d’Etats montre que celle-ci doit obéir à deux conditions cumulatives pour être acceptées par les autres Etats européens : un accord entre les différentes parties et une consultation des populations concernées. Or aucune de ces conditions n’est susceptible d’être remplie pour le cas d’une indépendance de la Flandre.
La voix du droit
Concernant l’impossibilité d’un accord global sur une séparation en deux (ou trois) Etats indépendants, on bute, encore et toujours, sur le verrou à la séparation que constitue Bruxelles. En effet ni les Flamands ni les Francophones ne veulent – pour des raisons symboliques et économiques – se priver d’un accès à cette vitrine internationale que constitue la capitale de l’Europe. Et si la Belgique devait éclater, ce territoire central ne peut qu’être perdu pour au moins une des deux entités. En effet dans le monde contemporain un territoire ne peut appartenir qu’à un Etat et un seul. Inutile donc de fantasmer sur un condominium flamando-wallon sur cette ville : un tel schéma est proscrit depuis la fin de la période coloniale. Inutile également d’évoquer, autrement que comme un pur cas d’école, la possibilité d’un district européen tant que l’Union européenne n’est pas devenue un Etat fédéral.
Notons enfin que si le statut de Bruxelles apparaît comme le dossier a priori le plus insoluble, il en est bien d’autres qui seraient plus qu’épineux. Le partage de la dette ou le statut des communes à facilités offrent d’autres exemples achevant de convaincre qu’il est bien plus simple de poursuivre dans le cadre belge que de procéder à la séparation du pays en plusieurs Etats.
La voix de l'opinion
Qui plus est l’adhésion de la population flamande au scénario de l’éclatement de la Belgique fait largement défaut. Ainsi le soutien à l’indépendance de la Flandre se situe autour de 15% dans l’opinion publique, un chiffre qui n’a pas varié depuis les crises à répétitions que connait notre pays depuis juin 2007. Même chez les électeurs de la NVA, cette proportion ne dépasse pas les 17%[1]. Le vote pour le parti nationaliste flamand a donc manifestement d’autres causes : un positionnement de droite conservateur, la personnalité de Bart De Wever ou un vote de protestation à l’égard des partis traditionnels.
Or il apparait bien qu’un soutien populaire à l’indépendance est nécessaire pour que celle-ci soit acceptée au niveau international.
Les cas du Timor-oriental, du Monténégro et du Sud-Soudan qui ont tous eu recours à la consultation populaire pour légitimer leur indépendance en atteste. De même l’Ecosse organisera son propre référendum en 2014 et la Catalogne prendra probablement le même chemin. La " séparation de velours " tchécoslovaque, où les populations ont été totalement tenues à l’écart, s’apparente ainsi de plus en plus à un cas isolé et non reproductible lié au contexte de la chute du communisme.
La raison pour laquelle la Belgique n’éclatera pas est en réalité fort simple : la population flamande n’en veut pas.
L’indépendance de la Flandre est difficilement envisageable à court et moyen terme. Dès lors il apparaît utile et urgent de sortir d’une vision résignée et incapable de voir l’avenir de la Belgique autrement qu’en termes de fin plus ou moins proche. Débarrassé du spectre paralysant de la fin du pays, l’on peut alors penser la Belgique en termes positifs et constructifs.
C’est dans cette optique que les différents auteurs de " Good Morning Belgium " ont réalisé cet ouvrage collectif dont sont extraites les réflexions ci-dessus.
Vincent Laborderie, chercheur à l'UCL
Les recherches de Vincent Laborderie se concentrent sur les conditions de reconnaissance d'un État et les processus menant à l'indépendance. Il a coordonné avec Nicolas Parent un l' ouvrage collectif "Good Morning Belgium", qui vient de paraître aux éditions Mols.
[1] M. Swyngedouw, K. Abts, Les électeurs de la N-VA aux élections fédérales du 13 juin 2010, Cahier Hebdomadaire du CRISP n° 2125.