Une Belgique unitaire et bilingue sur base des 9 provinces. Ce n'est vraiment pas plus compliqué que cela, mais il faut le faire avec des Belges convaincus et bilingues. Voilà, la seule et unique solution. Tout le reste est du bidon.
LA LIBRE BELGIQUE
Réinventer un pays
Felice Dassetto
Mis en ligne le 12/05/2010
Une nouvelle “grande réforme” ? Il ne suffit pas de forger un cadre légal, institutionnel et administratif pour que les choses marchent.
Nouvelles élections sur fond d’impasse et de crise. Nuages sombres pour l’après-élections. Tout le monde s’accroche à la "grande réforme". Suffira-t-elle pour sortir de l’impasse, si tant est qu’elle puisse aboutir ?
La grande réforme est envisagée en continuité avec la logique du modèle d’Etat fédéral issu des années 1970. Ce modèle d’Etat creuse en réalité la voie d’une impasse grandissante. C’était le quatrième modèle d’Etat belge, un "quatrième royaume" en quelque sorte, après celui de la fondation, censitaire, après celui qui avait élargi à la démesure son territoire en s’appropriant le Congo, après celui de l’élargissement des droits politiques, des droits sociaux depuis les années vingt.
L’impasse de ce modèle d’Etat a au moins une double source.
Il est fondé sur le face-à-face de deux ensembles qui, structurellement et culturellement, ne peuvent jouer qu’à la manière d’un match de tennis, avec gagnant et perdant. Institutionnellement, tout le jeu politique se résume à raisonner, agir et négocier contre celui d’en face : francophones contre Flamands, Flamands contre francophones. Le fédéralisme ou confédéralisme d’union ou de coopération sont juste des mots et, au mieux, des intentions. La réalité est celle d’un fédéralisme (et demain, éventuellement, d’un confédéralisme) d’indivision : dans la logique du "quatrième royaume", le pays reste uni car il est impossible de le diviser, notamment à cause de Bruxelles.
La deuxième raison est que ce modèle d’Etat se berce de l’illusion qu’un pays, donc une population et des institutions vivant sur un territoire dans un cadre politique, puissent vivre ensemble sans une base sociale et culturelle commune qui fonde le vivre-ensemble. On pense qu’il suffit de forger un cadre légal, institutionnel et administratif pour que les choses marchent. On sous-estime le fait que la force d’une loi, d’une constitution, des institutions provient du consensus qui les fonde tout autant que du cadre et des procédures légales. Même un futur Etat confédéral ne peut survivre sans une base sociale, culturelle, de valeurs et de finalités communes et pratiques.
Or le modèle d’Etat du "quatrième royaume" a dressé des murs. Les entités régionales-communautaires sont des entités séparées, qui n’ont pour liens que ceux de la bonne volonté et de la politesse. Le fonctionnement structurel de ces entités forge un mur culturel et social dans la population : absence de médias communs, absence de langues de communication partagées en raison de la non-obligation de l’apprentissage de l’autre langue, séparation des institutions sociales, culturelles, éducatives, universitaires. Que veut-on de plus pour achever un pays ?
Que les intellectuels et responsables politiques flamands n’aient pas vu ou voulu voir cela est compréhensible : leur trip politique se fait à l’ombre de l’identité flamande, de la nation flamande, de l’indépendantisme (avoué ou non), de l’arrachement de ce qu’ils percevaient comme une domination politique francophone dans l’Etat belge. L’espace commun belge n’est, aux yeux de la plupart et quoi qu’ils en disent, qu’une entité résiduelle ou un lieu à occuper à l’avantage flamand, ou un lieu "en attente d’évaporation", ou "sans valeur ajoutée".
Mais que les responsables politiques et intellectuels francophones qui, à l’exception des rattachistes ou des régionalistes farouches, disent tenir à l’unité de la Belgique, n’aient pas vu cela, n’aient proposé d’alternatives et agi en conséquence, c’est une faute politique majeure. La force des Flamands est dans le fait qu’ils ont un projet, celui de leur nation, auquel ils soumettent le projet d’ensemble. Les francophones n’ont pas de projet, ni pour eux-mêmes, sauf pour "résister aux flamands", ni pour la Belgique car ils restent passivement attachés au projet belge, issu du passé, même s’il est réformé institutionnellement.
"Ce pays a-t-il encore du sens ?", se demandait la Une du "Soir" récemment. Actuellement, non. Inutile de poser la question au présent. La réponse à cette question proviendra éventuellement de la capacité à reconstruire activement un sens dans l’avenir et à ne pas se limiter à assister passivement et pratiquement au déroulement du scénario de non-sens de la Belgique.
L’erreur persiste : on continue à vouloir chercher des solutions de réforme dans le cadre du modèle du "quatrième royaume", en faisant confiance aux plombiers et bricoleurs de toute sorte. On chicanera sur des bricolages institutionnels. On s’affrontera dans des rapports de force institutionnels.
Sans voir que la grande réforme institutionnelle seule (dans le cas où elle aboutira à quelque chose) ne suffira pas à reconstruire l’ensemble. On pourrait se demander si la seule possibilité n’est pas celle de sortir du cadre du "quatrième royaume" et de tenter de dépasser l’idée de réforme de la Belgique afin de réinventer un pays et un Etat, s’il en est encore temps : inventer un "cinquième royaume", totalement nouveau. Sans reproduire la même erreur.
Car il s’agira, certes, de réinventer un Etat, en imaginant d’autres solutions institutionnelles que celle du face-à-face binaire et bien au-delà d’un confédéralisme illusoire.
Et surtout, il faudra commencer par réinventer un pays, un projet, des éléments de culture commune, des capacités concrètes et pratiques de communiquer, des activités intellectuelles, scientifiques communes, donc une habitude pratique à se connaître, se fréquenter et "faire" ensemble. Il faudra bien plus que donner les titres du journal parlé de la VRT à celui de la RTBF ou échanger des articles entre les quotidiens des deux parties, même si cela est déjà mieux que rien.
Il faudra réécrire l’histoire connectée, alors que depuis quarante ans on écrit et on enseigne l’histoire wallonne et l’histoire flamande séparées. Il faudra réinventer des nouvelles symboliques communes : Belgique, drapeau, devise, hymne et fête nationale devront probablement être réinventés car ils sont autant de symboles d’un passé révolu pour certains, et honni pour d’autres. Cela fera souffrir de nombreuses personnes ; mais c’est probablement le prix à payer pour que la Belgique vive.
Les francophones devront se décider à choisir entre trois issues.
Ou bien ils continuent à accepter, avec un fatalisme plus ou moins musclé, le devenir actuel flamand qui impose le devenir du pays, juste en se retranchant derrière leur attitude de résistance contre les "méchants" flamands ou derrière des cocoricos de dignité offensée. Cet Etat-là et ce pays-là pourront durer encore quelques dizaines d’années : après BHV, ils devront résister à propos de la sécurité sociale, puis de la justice, puis des affaires étrangères, puis de la police, puis
Ou bien les Belges, ou plus exactement les Flamands, les Wallons, les Bruxellois et les germanophones se décideront à choisir leurs destinées respectives. Bye-bye Belgique donc.
Ou bien on se décide à proposer et à œuvrer concrètement pour un projet de pays et d’Etat belge alternatifs, en sortant totalement du cadre belge historique.
Ce projet totalement neuf demandera du temps, des décennies, de la patience et de la persévérance. Il demandera des moyens.
Il demandera une vision, ce qui fait défaut. Par exemple, les programmes électoraux des partis disent-ils quelque chose à ce sujet, mis à part que "l’Union fait la force", slogan intéressant certes, mais qui ne suffit plus ? Ce serait un projet passionnant, qui invente, dans ce XXIe siècle, un nouveau modèle de société-Etat pluraliste, un "cinquième royaume". Il faudra secouer les évidences et les cadres de référence et parvenir à penser neuf et fondamental pour sortir du cadre mental du quatrième royaume, tout comme du cadre mental "belge".
Ce projet demandera des acteurs politiques et des acteurs de la société civile. Là, c’est la question. On ne peut pas s’attendre à une initiative ou à un répondant immédiat du côté flamand, bien qu’il ne soit pas exclu que l’invention d’un pays, qui ne soit plus "belge", puisse trouver un écho favorable. Les francophones devront se retrousser leurs manches. Mais trouvera-t-on à Bruxelles et en Wallonie les forces sociales, morales, intellectuelles porteuses d’un tel projet parmi les plus âgés, les âges moyens, la jeunesse, y compris celle d’origine immigrée dont le poids démographique est considérable ?
Mais, au-delà de tout, l’idée d’un "cinquième royaume" est-elle audible ?