A l'étranger, on ne comprend rien aux problèmes belges et ils ont raison.
LE TEMPS.ch
Epuration identitaire
Joëlle Kuntz
La progression du séparatisme flamand, au cœur d’une Europe qui se donne pour but de surmonter les différences entre les peuples, pose de vertigineuses questions au monde d’aujourd’hui
Au soir du vote qui a confirmé la progression du séparatisme flamand, une électrice a déclaré au micro d’une télévision qu’elle soutenait entièrement ce mouvement: «Nous n’avons rien en commun avec les Wallons. Nous n’aimons pas la même musique; nous n’avons pas la même politique; nous ne voyons pas les choses de la même manière, non, vraiment rien, il est normal et logique que nous nous séparions.» C’était dit tranquillement, sans colère, comme une évidence, à Bruxelles, capitale de l’Union européenne où est censé se forger depuis plus de cinquante ans un vivre ensemble des peuples du continent à travers et malgré leurs différences. Bonjour la réussite!
Au moment où les Allemands apprennent à avaler l’intempérance budgétaire des Grecs qui est à l’opposé de leur rapport à la dépense; où les Français essaient de se faire une raison de la puissance allemande que l’histoire les porte à jalouser; quand tous les pays de la zone euro commencent à accepter de soumettre leur politique budgétaire à des inspecteurs agréés en commun; quand chaque jour, les vingt-sept partenaires de l’Union affairés à la recherche de leur bien commun acceptent de petits et grands sacrifices de souveraineté, des Flamands souhaitent se séparer des Wallons parce qu’ils n’aiment pas la même musique.
Leur leader se plaît à affirmer qu’une Flandre indépendante serait à l’unisson d’une Europe des régions. La musique des Vingt-Sept la dérangerait moins que celle des Wallons. C’est ce que disent aussi à propos de leurs voisins de chambrée nationale certains Catalans, certains Basques, certains Padaniens, petits peuples enrichis qui se refont une histoire et une géographie pour jouir à eux seuls de leur langue et de leur succès dans le cadre rêvé d’une grande agglomération européenne de petites régions.
Le séparatisme a toujours des arguments, bons ou mauvais, que l’unionisme n’a pas vaincus, ni en Europe, ni ailleurs. La culture des différences a même retrouvé de la vigueur avec l’affirmation de la diversité comme «moteur du développement», selon la formule de l’Unesco, soucieuse de freiner une mondialisation uniformisante.
Si les peuples du delta du Niger, ou les Ouïgours de Chine, les Palestiniens du Proche-Orient ou les Ossètes du Caucase ont des droits relevant de leur identité et de leur histoire, pourquoi ces droits s’arrêteraient-ils au seuil de la nationalité?
Chaque cas mérite sa propre évaluation mais le dilemme que pose la Flandre à sa manière à elle, pacifiste et électoraliste, hors de toute violence coercitive, soulève la question vertigineuse de la légitimité des frontières d’aujourd’hui.
Le double discours de l’ONU, à la fois promoteur du statu quo et défenseur de la différence, n’est pas de nature à la résoudre. Le double discours de l’Europe, à la fois national et régional, ne l’est pas davantage. Il ne résisterait pas à un forcing du régional.
Ce qui reste, ce sont des peuples fâchés qui menacent de créer tout seuls des faits accomplis. Et que les autres se débrouillent. L’épuration identitaire continue.