Certains membres de ce forum se font de faux espoirs.
Source: l'Echo
Chercheur en science politique à l’UCL, Vincent Laborderie travaille sur la manière dont les États peuvent devenir indépendants et les conditions de leur reconnaissance internationale. Selon lui, le scénario d’une scission de la Belgique est aujourd’hui totalement irréaliste.
Comment interprétez-vous le nouveau débat, côté francophone, sur la fin de la Belgique?
EChacun est en train de se monter la tête, alors que fondamentalement il n’y a aucun élément nouveau. Les Flamands ne sont toujours pas plus de 15&flexSpace;% à vouloir l’indépendance, un chiffre constant dans toutes les études réalisées depuis 20 ans. Le problème actuel vient d’une différence de perception entre Flamands et francophones. Les francophones voient dans cette crise une remise en cause de la Belgique, alors que les Flamands considèrent qu’il s’agit d’une crise politique comme le pays en a déjà connu un certain nombre. Les francophones ont peur que les Flamands ne demandent la séparation. Les Flamands, eux, n’ont pas peur, puisqu’ils savent qu’ils ne se sépareront pas.
N’est-ce pas au contraire une attitude prévoyante de la part du PS que d’envisager l’éclatement du pays?
ECertains y voient un sursaut de fierté francophone. Cela me semble au contraire une position passive, une sorte d’aveu d’impuissance puisque l’on précise que ce sera "si la Flandre le souhaite". On joue à se faire peur. C’est tactique mais néanmoins dangereux. Car en évoquant sans cesse l’hypothèse d’un plan B, on risque de verser dans les prophéties autoréalisatrices. Si on n’est pas capable de penser autrement qu’en termes de fin de la Belgique, on ira de blocage en blocage, empêchant toute réforme de l’État et précipitant ainsi la fin de la Belgique. Alors que je le redis les Flamands ne veulent pas d’une séparation.
Bart De Wever se dit pourtant ouvertement séparatiste.
EC’est un indépendantiste mais il a soigneusement veillé à gommer le mot de sa campagne électorale, ayant lui-même compris que la Flandre n’en veut pas. Même s’il dispose actuellement d’un énorme pouvoir et d’une grande crédibilité, De Wever sait très bien qu’il ne peut pas aller au bout de sa logique. En tout cas pas sans un changement massif dans l’opinion flamande. Or, sur ce point, celle-ci n’évolue pas et semble imperméable aux crises qui se succèdent.
Si le scénario d’une scission devait malgré tout s’imposer, comment peut-il se réaliser?
ETrois scénarii peuvent conduire à une indépendance. Dans le cas de la Belgique, on peut exclure d’emblée le conflit armé. Deuxième voie: une séparation à l’amiable, à la tchécoslovaque. Pour cela, il faut un accord entre Flamands et francophones. Or comment des responsables politiques qui n’arrivent pas à s’accorder sur la scission de BHV pourraient-ils le faire sur des sujets autrement plus épineux, comme le sort de Bruxelles, de sa périphérie ou la dette? La dernière possibilité pour la Flandre de devenir indépendante est une déclaration unilatérale. Autrement dit, une sécession sans consentement mutuel avec les francophones. Dans une telle situation, plusieurs membres de l’Union européenne, soucieux de leurs propres problèmes internes, s’opposeraient à une reconnaissance rapide. Pour l’économie flamande, ce serait une catastrophe. En fait, la séparation ne peut être que négociée. Et les dirigeants francophones ont donc la capacité de s’y opposer. Inutile donc de plier devant la supposée volonté séparatiste de la Flandre ou de la devancer.
La Tchécoslovaquie est pourtant parvenue à se scinder.
ELe cas tchécoslovaque est très particulier. D’abord parce que la séparation s’est faite à l’encontre de la volonté de la population des deux entités. Ce sont les partis politiques qui ont négocié la séparation entre eux. Cette séparation n’a du reste pas été très bénéfique aux échanges entre les deux entités qui ont été divisés par quatre par rapport à la situation unitaire. En Belgique, vu la forte interaction économique entre les trois Régions, une telle évolution des échanges serait catastrophique. Et puis, qu’est-ce que cela règle de se séparer? Flamands et francophones resteront voisins. C’est comme un couple qui divorce, mais qui devrait continuer à vivre sous le même toit. Il faudra toujours gérer la mobilité autour de Bruxelles, le survol de la ville, etc. Or il sera plus difficile de régler ces problèmes entre deux pays qu’à l’intérieur d’un seul pays.
Jugez-vous viable une entité comprenant la Wallonie et Bruxelles, même séparés géographiquement?
EJe ne vois aucun problème à avoir un État sans continuité territoriale. Les exemples sont légion: enclave belge de ‘s Hertogenbosch aux Pays-Bas, enclaves françaises en Espagne, etc. Établir un corridor entre la Wallonie et Bruxelles ne servirait strictement à rien. Même dans l’hypothèse d’un État flamand indépendant, il y aura toujours la libre circulation des personnes qui prévaut en Europe. Or la Flandre n’aurait aucun intérêt à hypothéquer d’entrée de jeu ses chances de rentrer dans l’UE.
Quant à la viabilité économique d’une entité Wallonie-Bruxelles. Qu’en pensez-vous?
EEn affirmant que la Wallonie et Bruxelles seraient économiquement viables, on commet la même erreur que le groupe de réflexion séparatiste "De Warande" à propos des transferts financiers. Une erreur qui consiste à raisonner avec des chiffres constants, toutes choses restant égales par ailleurs. Or qu’adviendra-t-il du PIB de la Flandre privée de Bruxelles? Où en sera l’attractivité de Bruxelles privée de son rôle de capitale? C’est plus compliqué que de raisonner dans le cadre d’un simple jeu à somme nulle. La Belgique représente une valeur ajoutée en soi. Et en coupant le pays en deux, on tue la poule aux œufs d’or qu’est Bruxelles. L’ampleur des transferts entre la Flandre et les deux autres Régions (6 milliards d’euros, NDLR.) est du reste présentée de façon exagérée. Le volume de ces transferts est très inférieur à ceux qui ont lieu entre le Nord et le Sud de l’Italie par exemple. Pour gagner 3&flexSpace;% de revenu disponible en supprimant les transferts, la Flandre risquerait de perdre 15 à 20&flexSpace;% de sa prospérité en raison des liens coupés avec Bruxelles. Ni les Flamands ni les francophones ne conçoivent leur avenir sans Bruxelles. Impossible dans ces conditions de concevoir un éclatement de la Belgique.