Ce lundi 11 juillet, nos compatriotes du Nord célèbrent leur "fête nationale" dans un contexte plutôt perturbé. Présentée comme la victoire de la pauvre Flandre face à l'ogre français, la bataille des Éperons d'Or de 1302 est pourtant un modèle de réussite ... à la belge.
Voici 709 ans, au matin du 11 juillet 1302, les fières armées du roi de France Philippe le Bel étaient humiliées dans la plaine courtraisienne par les troupes "flamandes". Depuis plusieurs années, les nationalistes du nord du pays se plaisent à rappeler ce sanglant épisode de l'Histoire pour souligner la témérité et le courage des populations flandriennes. Et ce, en oubliant de mentionner plusieurs éléments primordiaux.
À la fin du XIIIè siècle, le commerce du textile permet aux campagnes et villes flamandes de connaître une incroyable prospérité. Grâce à cette industrie florissante, la Flandre et son partenaire anglais font de l'ombre à la toute-puissance française. Le roi de France Philippe Le Bel entend augmenter son contrôle du juteux commerce et envoie donc un délégué dans sa province du nord. Une mesure qui ne plaît guère aux bourgeois flamands qui, le 18 mai 1302, massacrent plusieurs centaines de partisans du Roi.
Brabançons, Namurois, Liégeois...
Furieux, le souverain réunit ses chevaliers et décide de punir cette Flandre récalcitrante. Près de 50 000 cavaliers et fantassins sont envoyés aux alentours de Courtrai.
Face à eux, une armée d'environ 25 000 hommes. Tous Flamands? Pas du tout. On retrouve dans ces rangs de nombreux Brabançons, des Namurois, des Liégeois, des Zélandais et les inévitables Anglais. Les troupes sont confiées au commandement du Flamand Pierre de Coninck, de Guy de Namur et de l'archidiacre de Liège, Guillaume de Juliens. "Une bataille qui n'est pas linguistiquement homogène", explique le professeur Vincent Dujardin (UCL).
La tactique "flamande" est simple: il s'agit d'amener les chevaliers français et leurs lourdes armures dans les prairies boueuses bordant la ville. Les montures françaises s'engouffrent dans le piège et s'embourbent dans les marécages. Sans aucune pitié, leurs adversaires s'empressent de les massacrer, ramassant au passage leurs éperons dorés qu'ils emportent comme trophées.
Ce que certains orateurs et historiens du Nord oublient souvent de mentionner, c'est que quelques mois plus tard, en août 1304, le même Philippe le Bel obtint une écrasante et impressionnante revanche à la bataille de Mons-en-Pévèle et imposa, l'année suivante, la signature d'un humiliant traité de paix.
Remis au goût du jour par Léopold Ier
Durant plus de 500 ans, la Bataille des Éperons d'Or est oubliée et très rarement évoquée par les érudits.
Il faut attendre... 1830 et l'indépendance de la Belgique pour la voir revenir au premier plan et pour découvrir les détails de cette glorieuse journée dans les manuels d'histoire. Grâce à un ancêtre de Bart De Wever? Non, loin s'en faut. Celui qui choisit de remettre cet épisode historique au goût du jour n'est autre que le nouveau souverain Léopold Ier. Initialement, ces commémorations n'étaient donc pas "anti Belgique", nous confie Vincent Dujardin. "Il fallait plutôt y voir une façon de raviver des moments héroïques dans un contexte de lutte contre l'envahisseur étranger, principalement français".
Paru en 1838, le roman historique d'Hendrik Conscience "De Leeuw van Vlaanderen" retrace également le déroulement de la célèbre bataille mais sous un angle flamand. Là encore, il ne faut pas y voir de sentiment anti-belge, estime Vincent Dujardin. "Il s'agit plutôt d'un appel au respect de la langue flamande". On peut donc y décerner les prémices d'un mouvement flamand.
Ce n'est que vers la fin du XIXème que cette commémoration du 11 juillet a pris une tournure plus politique. "Le conflit ne vise plus la France mais la Belgique francophone", explique ce chercheur spécialiste de l'histoire politique de la Belgique. La date du 11 juillet est gardée comme un moment symbolique témoin d'une Flandre glorieuse.
Cette commémoration est mise en veilleuse après la Seconde Guerre mondiale, après avoir été récupérée par les collaborateurs durant le conflit. Elle est remise au goût du jour en 1952, plus politique que jamais. C'est à présent un sentiment anti Belgique qui anime dans certains cas ces grandes fêtes politiques. Des fêtes qui n'ont plus rien en commun avec les commémorations du XIXème siècle.
"La salive a coulé plus que le sang"
Toutefois, Vincent Dujardin tient à apporter une précision importante. Durant les conflits communautaires qui ont émaillé l'histoire de la Belgique, peu de décès sont à signaler. Néanmoins, "un manifestant est mort dans une fête du 11 juillet, au lendemain de la Première Guerre mondiale, lors d'incidents avec la police". "C'est évidemment sans commune mesure avec les violences en Corse ou encore en Irlande du Nord", relève Vincent Dujardin. En Belgique, au niveau communautaire, "la salive a coulé bien plus que le sang", dit-il pour conclure.
PIAB et AdC
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