Une évaluation de la note de Vandelanotte dans l'Echo: commencent-ils à comprendre l'absurdité des réformes de l'Etat?
ECHO
01:00 - 04 février 2011
Décrypter la "Proposition Vande Lanotte"
A partir de la note du conciliateur, un groupe de huit économistes néerlandophones ET francophones a rédigé un article d’opinion relatif à la discussion sur la réforme de la loi de financement des Régions et des Communautés.
La proposition de réforme du financement des Régions et des Communautés formulée le 3 janvier par le conciliateur royal Johan Vande Lanotte constitue une étape importante dans l’évolution institutionnelle de la Belgique. Elle pourrait significativement inspirer l’accord politique qui finira par être trouvé. Il convient donc de l’analyser en profondeur, en tenant compte qu’elle a été rédigée dans l’urgence. Que ce qui suit se concentre exclusivement sur d’éventuelles améliorations à y apporter ne doit rien enlever aux mérites de cette proposition, au contraire. Lire la note(1).
De notre exercice, lui aussi mené rapidement, il ressort 5 observations fondamentales.
Premièrement, la Proposition VdL suscite des interrogations quant à la capacité collective de garantir le remboursement des emprunts émis par la Belgique. En effet, si elle prévoit, de manière floue, de faire contribuer les Régions et les Communautés à l’effort d’assainissement, elle contient différents dispositifs défavorables aux finances fédérales: (1) les fruits de la progressivité de l’impôt (élasticité) seront partagés avec les Régions alors qu’aujourd’hui ils reviennent intégralement au fédéral; (2) le fédéral s’engage à faire croître le financement des nouvelles compétences des Régions et Communautés au rythme de la croissance économique nominale ou des besoins; (3) le financement additionnel de Bruxelles ne viendra pas des autres Régions mais du fédéral; (4) le crédit d’impôt individuel en cas de non-épuisement des avantages fiscaux au niveau fédéral sera payé par le fédéral sans récupération auprès des Régions; (5) le fédéral versera aux Régions un bonus si leur taux d’emploi évolue plus favorablement que ce qui est prévu, sans malus; (6) le fédéral s’engage à considérer comme déductible à l’impôt des sociétés une possible taxe routière interrégionale. En même temps, les marges de manœuvre du fédéral pour procéder à un assainissement budgétaire sont amputées à la mesure des compétences qu’il partage ou cède.
Or, pour pouvoir faire face au remboursement de la dette publique, il est fondamental que l’État fédéral dispose de la plus grande latitude possible pour relever des impôts ou diminuer des dépenses.
Avec le mécanisme du "serpent fiscal" le fédéral n’a même plus la capacité souveraine d’augmenter significativement l’impôt. Avec le transfert de compétence prévu, il est impératif que les entités fédérées participent pleinement au processus de consolidation budgétaire, et cela de manière claire et contraignante.
Deuxièmement, on est très loin d’une simplification des mécanismes de financement des Régions et des Communautés. On crée de nouvelles dotations et on multiplie les critères utilisés pour déterminer les enveloppes budgétaires. Il faudra faire appel à des spécialistes pour mesurer ce qu’auraient donné des "politiques inchangées", ce sur quoi il sera impossible d’avoir un accord unanime. En outre, on instaure un mécanisme de compensation au niveau du contribuable individuel, appelé "micro-fiscal", basé sur des paramètres macroéconomiques. Plus aucun contribuable ne pourra encore calculer lui-même l’impôt qui lui est demandé. Cette complexité nuit à l’implication démocratique des citoyens dans le débat politique. De plus, il faut tenir compte du coût administratif, pour les contrôleurs comme pour les contrôlés, de cette complexité. Ce coût s’ajoute au coût de la restructuration des administrations qu’impose toute réforme institutionnelle substantielle.
Troisièmement, à côté de l’objectif de renforcement des compétences et de l’autonomie des entités fédérées, clairement atteint, la Proposition VdL s’inscrit dans un cadre de pensée qui visait également à accentuer la responsabilisation et à rendre l’exercice des compétences plus homogène. Pour ce qui est de la responsabilisation, celle-ci était déjà forte pour les Régions (via le "juste retour"), même si le mécanisme de solidarité pénalisait une éventuelle convergence. C’est pourquoi la Proposition VdL propose d’amender ce mécanisme. La Proposition étend la responsabilisation dans le financement des allocations familiales: si une Communauté décide d’allonger les études supérieures ou voit son taux de chômage augmenter, elle en supportera les conséquences en matière de coût des allocations familiales. Pour ce qui est de l’homogénéité dans l’exercice des compétences, la Proposition VdL prévoit de confier aux Régions les dépenses fiscales dans leurs domaines de compétence, principalement logement et environnement. C’est cohérent mais dans d’autres domaines l’homogénéité faiblit, qu’il s’agisse du partage de l’IPP entre fédéral et Régions ou du transfert très partiel de la justice et des soins de santé vers les Communautés. Il n’y a pas non plus homogénéisation dans les principes qui sous-tendent le financement, même pour les nouvelles compétences où on combine capacité fiscale, population et besoins objectifs.
La réforme de la loi de financement des régions et des Communautés n'est pas un substitut aux réformes structurelles qui nous attendent immanquabalement.
Quatrièmement, la Proposition VdL ne remet pas en cause certains fondements du financement actuel des Régions et des Communautés, pourtant sujets à débat. Il s’agit notamment de la prévalence du critère de lieu de résidence, de la clef 80/20 pour ventiler la Région de Bruxelles-Capitale entre Communauté française et Communauté flamande et du recours à l’IPP comme instrument de mesure pour la responsabilisation fiscale. Utiliser l’IPP au lieu d’autres impôts (ISoc ou TVA) pour déterminer la capacité fiscale se comprend mais en même temps il faut reconnaître que la clef IPP ne donne pas une image correcte de la contribution fiscale totale de chaque entité aux recettes nationales.
Enfin, telle que dessinée par la Proposition VdL, la réforme des compétences et du financement des Régions et des Communautés n’est pas de nature à radicalement changer le paysage socio-économique. Cela tient notamment aux mécanismes de transition, qui s’étalent sur 20 ans, aux garde-fous en matière de concurrence fiscale entre Régions et à la nature des compétences transférées aux entités fédérées. En particulier, les nouvelles compétences des Communautés ont beau porter sur quelque 10 milliards d’euros et la responsabilisation des entités a beau avoir été un thème majeur des débats, il est difficile d’imaginer que les performances économiques s’en ressentiront significativement. La réforme de la loi de financement des Régions et des Communautés n’est pas un substitut aux réformes structurelles qui nous attendent immanquablement.
Texte cosigné par Étienne de Callataÿ (Itinera, UCL), André Decoster (KUL), Paul De Grauwe (KUL), Jean Hindriks (Itinera, UCL), Giuseppe Pagano (UMons), André Sapir (ULB), Koen Schoors (UGent) et Ivan Van de Cloot (Itinera).